Transcription, reformulation et travail sur une conférence de JG Bursztein

Transcription, reformulation et travail sur une conférence de JG Bursztein

2012

INTRODUCTION A LA PSYCHANALYSE

Qu’est-ce que la psychanalyse?

La psychanalyse est une science, elle appartient au champ de la science. C’est la thèse de Freud et c’est celle de Lacan, et c’est l’hypothèse de travail que je fais. Qu’est-ce que cela veut dire que la psychanalyse s’apparente au champ de la science? A la différence d’une doctrine, d’une religion, comme par exemple la philosophie chinoise qui a des points communs, des points qui voisinent avec la religion, la psychanalyse reformule ses théories en fonction des avancées de la science. Entre le Freud de la fin du 19ème siècle -celui de « l’Esquisse d’une psychologie scientifique » écrite entre 1895 et 1896, avant l’utilisation même du terme « psychanalyse » qui date de1896- et Lacan qui est mort en 1981, un siècle s’est passé et la psychanalyse a changé. Changé, cela veut dire qu’elle a reformulé complètement sa théorie et sa terminologie avec Lacan et, qu’avec le dernier Lacan, elle a adopté un langage formel, des expressions apurées de mathématiques qui synthétisent les grands mouvements de la subjectivité. Il s’agit de ce que l’on appelle la topologie subjective, dont je vous parlerai au cours de ces leçons. Et quand on comprend ces expressions mathématiques, c’est un gain formidable et c’est aussi une possibilité de transmettre ce qu’il en est de l’expérience analytique. Mais de cela, surgit une grande difficulté: ce n’est pas accessible sans effort. Les efforts sont qu’il faut étudier la psychanalyse et s’y intéresser pour des raisons personnelles. C’est une discipline, il faut payer avant d’entrer. C’est très bien comme cela. Ce n’est pas fait pour tout le monde. Même s’il n’y pas assez de psychanalystes. Ce qui est requis ici, n’est pas un niveau intellectuel, mais un engagement dans le sérieux de l’expérience et dans une responsabilité avec les autres quand on reproduit cette expérience en position de psychanalyste.

Que propose la psychanalyse ?

Le monde ne va pas mieux qu’avant! Il continue à aller mal. Il y a une immense souffrance et la psychanalyse a ceci de nouveau et de très intéressant par rapport à toutes les idéologies et par rapport aux religions, c’est qu’elle propose une sortie de cette souffrance, de ce malheur d’exister, par un travail personnel. Ce travail-là qui ne vise pas la foule, est vraiment la chose la plus prometteuse. Et l’avenir, c’est qu’il y ait beaucoup de gens analysés et que beaucoup soient psychanalystes. C’est ainsi que l’on travaille à la transformation des choses par cette science immense qui commence à exister avec beaucoup de difficultés, d’incompréhensions, de faux discours et à travers beaucoup d’obscurité, ce qui est compréhensible pour une science nouvelle. L’aspect intellectuel est à différencier de l’aspect moral: l’important c’est que la psychanalyse soit transmise, qu’elle soit pratiquée par des gens qui sont « corrects » et pas par des canailles, des charlatans1. C’est un point essentiel: il faut une honnêteté intellectuelle pour être psychanalyste. Une honnêteté intellectuelle, c’est-à-dire, accepter d’être confronté à ses limites, accepter de se donner beaucoup de mal pour arriver à saisir les concepts psychanalytiques, tout en se rapportant à l’expérience. L’indice de la « fausse psychanalyse », c’est quand quelqu’un essaie de produire un discours psychanalytique déconnecté de toute expérience. Il ne produit que des idées générales et est alors malhonnête. Ça ne sert à rien. Ça fait que la psychanalyse devient, avec la satisfaction de tout beaucoup, une discipline désuète et inutile. Cependant, du fait que la psychanalyse appartient au champ de la science, ça permet que l’on se base sur une discipline mathématique, la topologie dont je vous ai parlé tout à l’heure, qui est une discipline de pointe. Quand on dit que la science psychanalytique date du 19ème siècle, c’est faux! La science psychanalytique applique au contraire un esprit de recherche absolument équivalent à celui des chercheurs d’autres disciplines, comme par exemple les neurosciences, mais avec moins de moyens.

Ce que je fais ici, c’est un enseignement. Un enseignement est un concept très précis en psychanalyse.

Qu’est-ce qu’un enseignement de psychanalyse ?

En quoi ça consiste ? C’est simple. Illustrons avec pour exemple l’un des dialogues de Platon appelé « Le Mémon2 ». Ménon jeune noble en visite à Athènes, impatient et peu subtil, pose une question ambigue à Socrate : « Comment devenir vertueux ? » soit « Comment trouver une chose dont on ne sait rien, ». Socrate, qui est un maître interroge un petit esclave qui n’a jamais étudié les sciences :

  • Comment fais-tu pour construire un carré double d’un carré donné, dit Socrate ?

  • C’est simple, je double le carré. Je double le côté.

  • Tu arrives à 4 et pas à 2. Il faut partir de l’hypoténuse et non du carré, et là tu arrives à doubler le carré, dit Socrate.

Et ainsi Socrate fait retrouver au petit esclave des éléments de géométrie qu’on ne lui a jamais enseignés. S’instruire c’est se ressouvenir. La connaissance est déjà en nous : on ne la retrouve pas de l’extérieur de soi, mais en soi. Et la conclusion de ce dialogue est que quand on ne sait pas, on est en position d’esclave… La psychanalyse, c’est pareil, on ne peut enseigner qu’un « savoir qui se sait » et il faut l’enseigner de façon à le transmettre. Un enseignement de psychanalyse, c’est l’enseignement d’un savoir qui se sait. Qu’est-ce que cela donne ?

Que sait-on en psychanalyse ?

Quand on est névrosé et que l’on a fait une cure psychanalytique, quand on a suffisamment avancé dans sa cure, on sait qu’on a été pris dans un fantasme d’inceste -l’inceste n’étant pas ici une chose concrète- au sens d’une pensée qui nous obsède et dont on n’a pas conscience. On sait qu’on a été pris dans cet inceste, soit sous la forme de l’amour, soit sous la forme de la haine ; on sait qu’on en est sorti, qu’on s’est évidé de cet inceste et qu’on est sorti de ce fantasme. Ce qu’on enseigne en psychanalyse, c’est le moment de sortie de ce fantasme. Ceci est le point invariant de la psychanalyse : savoir comment on a été pris dans un fantasme d’inceste et comment en en est sorti. Ensuite, il faut expliquer comment « ce savoir vrai » se transfère. C’est ça un enseignement de psychanalyse: donner une théorie, une cohérence qui renvoie à un savoir vrai de l’expérience. Comme Lacan l’a fait, comme je le fais ici.

Comment se fait la transmission de ce savoir ?

Celui qui n’a pas rencontré ce point de sortie du fantasme, qui n’a pas saisi son fantasme et qui ne sait pas comment on sort de ce fantasme, ne peut pas enseigner la psychanalyse. Un professeur d’Université qui n’a pas fait de psychanalyse ne peut pas l’enseigner. Aucun intellectuel ne peut enseigner la psychanalyse s’il n’a pas suivi de psychanalyse. Il faut avoir rencontré son fantasme et la façon d’en sortir. La seule chose qu’il y a à transmettre : c’est comment on s’en sort. C’est simple, c’est profond et c’est discriminatoire. Ce n’est pas un enseignement universitaire. C’est un enseignement psychanalytique. Et ici, la question de l’expérience est essentielle.

A qui enseigne-t-on la psychanalyse ?

C’est encore plus simple : on l’enseigne uniquement à ceux que cela intéresse. On ne l’enseigne pas à ceux que cela n’intéresse pas. On ne peut absolument pas convaincre quelqu’un de s’intéresser à la psychanalyse. C’est une science qui repose sur un enseignement. Ce savoir-là est essentiel mais n’est pas à enseigner à ceux que ça n’intéresse pas. Sinon on tombe dans les discussions générales, dans les discussions contradictoires et ce n’est pas de la psychanalyse. La psychanalyse, et ça fait partie de la règle du jeu, est noyée dans un faux discours. L’humanité en général refuse l’enseignement de la psychanalyse, ne désire pas la psychanalyse car cette dernière nous oblige d’une façon très puissante à renoncer au fantasme incestueux, à accepter un manque, un certain vide et c’est cela, qu’on appelle en psychanalyse, la Loi. Elle nous oblige à nous appliquer cette Loi symbolique à nous-même. Et c’est la chose dont tous les humains ont horreur : on a horreur de manquer. Par exemple, « On ne comprend pas pourquoi il est malheureux, il ne manque de rien » entend-t-on dire. Si justement, s’il ne manque de rien, on comprend pourquoi il est malheureux!

Le monde manque cruellement de psychanalystes. La psychanalyse est une science difficile qui est tout à fait accessible à ceux qui sont sérieux. La psychanalyse est pour les gens sérieux. Il ne s’agit pas d’être au niveau, mais d’accepter de faire des erreurs, d’étudier, et de rectifier ses erreurs et d’avancer dans la vie.

La théorie lacanienne de l’analyse est aujourd’hui la plus aboutie et ne peut être ignorée quand on fait de la psychanalyse. Il y a différentes théories de l’analyse et actuellement une, est essentielle : celle de Lacan. Lacan est le seul à avoir complètement reformulé la théorie de Freud dans tous ses aspects, d’une façon cohérente et qui ouvre une voie primordiale à la recherche. Lacan a développé l’idée que l’inconscient est une structure d’espace et du coup, que l’on peut continuer les recherches en étudiant comment cet inconscient se transforme à travers une transformation de la structure de cet espace. C’est cela qu’on appelle la topologie lacanienne. C’est une pensée difficile, qui sera expliquée dans cet enseignement.

1 Comme disait Lacan… qui était chef de clinique à Sainte-Anne, il y a 60 ans et a eu une position médicale de psychiatre. Il pensait que la position tenue par les médecins qui s’autorisaient un savoir médical pour finalement refouler certains troubles psychiques relevant de la subjectivité, étaient des « charlatans ».

2 Le Ménon est un dialogue de Platon, dans lequel Ménon et Socrate essaient de trouver la définition de la vertu, sa nature, afin de savoir si la vertu s’enseigne ou, sinon, de quelle façon elle est obtenue. Dans un premier temps, la question examinée est donc celle de l’essence de la vertu. Néanmoins, après plusieurs vaines tentatives de réponse, Socrate et Ménon examinent dans un deuxième temps, la question plus générale encore : la connaissance est-elle seulement possible ? Et comment ? L’interrogation sur la vertu se poursuit dans un troisième temps, avec l’examen de la question posée initialement par Ménon, celle de l’enseignement de la vertu. Le Ménon est un des dialogues de Platon consacrés à la théorie de la Réminiscence : la connaissance est réminiscence. Le Ménon fait voir clairement ce qu’est le travail de la pensée, l’approche d’une vérité dont la présence est connue avec conviction mais dont la forme est encore ignorée.